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Les principes essentiels de la logique.
Cours donné à l’Université Populaire de Genève, 1998-99.
Les lois de la pensée (d’Aristote).
Ces principes de base décrivent les aspects logiques la pensée humaine, et dès lors les prescrivent, puisque cette pensée peut à l’occasion errer. Ils sont considérés comme axiomes, parce qu’on s’en sert dans tout savoir (même quand on essaye de les évaluer).
Les lois de la pensée (d’Aristote).
Ces « lois » ont des aspects épistémologiques, ontologiques, phénoménologiques, logiques, psychologiques, et éthiques. On appelle antinomie la désobéissance de ces lois.
I. La loi de l’Identité. « A est A».
Cette loi nous rappelle que les faits sont les faits, les choses sont ce qu’elles sont. C’est une adhésion à l’empirisme, au sens le plus large du terme.
Au niveau des phénomènes ou apparences, l’important est d’observer les détails concrets donnés par l’expérience qui semble émaner des sens et de l’expérience interne ou mentale, ainsi que les détails plus abstraits émanant de l’intelligence logique, la raison.
Dès lors, on peut décider en toute sérénité, sur la base de la totalité du contexte de connaissances, quelles apparences sont des réalités ou sont vraies, et lesquelles sont des illusions ou sont fausses.
En psychologie, ce principe appelle un certain réalisme; aux attitudes d’ouverture, d’attention, de clarté, de précision et de mémoire. Il se traduit en éthique par l’honnêteté, admettre ce qui est, à soi-même surtout, et aux autres puisqu’on participe avec eux au savoir collectif.
2. La loi de Non-contradiction. « A ne peut pas être nonA. »
Cette loi nous rappelle qu’une chose ne peut pas en même temps être et ne pas être quoi que ce soit. Quand il y a une contradiction dans notre savoir, il y a erreur et nous devons réagir en cherchant une résolution de la contradiction.
Les contradictions sont inacceptables, des effets de phantasmes.
«Les sortes de contradictions.»
· Le conflit entre deux thèses: A et nonA coexistent dans la même thèse (ou corps de savoir).
Noter que le mot contradiction, qui a ici d’abord son sens strict (deux thèses qui ne peuvent ni être toutes deux justes, ni toutes deux fausses), peut aussi être pris au sens plus large d’ incompatibilité, qui inclut la relation de contrariété (deux thèses qui ne peuvent pas être toutes deux justes).
· L’auto contradiction: Une proposition ou thèse qui implique, de par son contenu ou par son existence ou expression même, sa propre négation, ou une quelconque autre contradiction, est absurde ou paradoxale.
La thèse opposée est alors évidente en elle-même, puisque non seulement elle s’implique elle-même, mais aussi sa propre antithèse l’implique, ou encore toutes ses alternatives l’impliquent.
La non-contradiction d’Aristote semble, à première vue, viser les objets eux-mêmes ou les propositions les concernant. Mais en fait elle comprend aussi bien les contradictions entre nos croyances et les données de notre expérience. Cet aspect de consistance dite externe, en contraste avec la consistance dite purement interne, bien que pas totalement absent chez Aristote, est surtout traité chez Bacon.
Cette deuxième loi de la pensée, donc, constitue un outil cognitif, avec lequel nous pouvons commencer à distinguer, parmi les apparences (et dans le cadre des connaissances actuelles), celles que nous pouvons pour le moment continuer à croire parce qu’elles restent consistantes et celles dont l’inconsistance nous pousse à l’incrédulité. Noter que ces jugements, malgré leur force majeure, n’excluent pas absolument des changements d’avis ultérieurs.
«Les types de validation d’arguments.»
· La réduction directe: à travers des inférences immédiates, elle change une pensée de format pas facilement assimilable en une pensée équivalente ayant un format dont la validité est évidente.
· La réduction indirecte ou ad absurdum: elle démontre que telle conclusion émane nécessairement des prémisses données, en commençant par nier cette conclusion, puis combinant cette négation avec une des prémisses, pour en arriver à l’absurdité de la dénégation de l’autre prémisse.
3. La loi du moyen exclu. « Ou bien A, ou nonA. »
Il n’y a pas d’autres alternatives à une proposition A et son antithèse exacte nonA. Devant une contradiction, nous ne pouvons pas rechercher une tierce thèse pour rétablir l’harmonie dans notre corps de savoir (ce qui n’exclut pas la possibilité d’avoir plusieurs thèses contraires les une aux autres; dans tel cas la négation d’une des thèses est la disjonction des thèses restantes). Une des deux thèses A et nonA doit être juste.
Cette loi nous apprend, donc, que tout problème a une solution; elle implique un devoir de la chercher (au besoin).
A noter que le nom « moyen exclu » se réfère originellement au syllogisme d’Aristote : on ne trouvera pas un terme ou une thèse intermédiaire entre A et nonA (à moins que l’un ou l’autre de ces alternatifs ne soit paradoxale et l’autre évident en soi).
Les lois de l’induction (de F. Bacon).
Ce sont des moyens pour nous de passer de données particulières à des thèses plus générales qui les incluent.
La technique positive: Si un postulat a certaines implications logiques nécessaires, et ces prédictions s’avèrent être en accord avec les données de l’expérience, le postulat se trouve confirmé (renforcé) par ces données, mais pas nécessairement prouvé.
La technique négative: Si un postulat a certaines implications logiques nécessaires, et ces prédictions s’avèrent être en désaccord avec les données de l’expérience, le postulat se trouve réfuté (éliminé) par ces données, et non pas seulement affaiblit.
La connaissance d’un individu, ou de la communauté, progresse graduellement par l’apport de faits nouveaux et par l’imagination d’hypothèses sensées englober les faits établis et capables d’en anticiper d’autres.
Plus le contexte empirique s’intensifie et s’étend, par le cours naturel des choses ou par un effort d’expérimentation, plus il y a de faits et détails à prendre en considération dans la formulation d’hypothèses pour les rendre appropriées.
Mais aussi, l’élargissement de l’expérience facilite l’invention de scénarios possibles, et donc la multiplication de résumés explicatifs alternatifs, bien qu’il y ait des cas où on n’arrive même pas à concevoir une seule théorie appropriée.
Il est plus aisé de réfuter que de prouver une thèse, sauf dans des cas spéciaux (propositions évidentes en elles-mêmes ou hypothèses exclusives). C’est donc par élimination d’hypothèses incompatibles avec les observations (ou bien inconsistantes en elles-mêmes) que la connaissance se précise. « Major est vis instantiae negativae .»
Si une thèse n’a pas prédit une expérience, qu’une thèse alternative a prédit, la première thèse s’en trouve affaiblie, mais pas réfutée. Ce n’est que lorsqu’une thèse fait une prédiction fausse qu’elle est infirmée (dans lequel cas il faut la modifier, c. à d. en faire une nouvelle thèse, ou bien l’éliminer carrément).
Les prédictions correctes d’une thèse la renforcent, si une de ses alternatives ne fait pas la même prédiction. Mais ces confirmations ne prouvent jamais une thèse ; elle reste révisable. La preuve inductive ( et donc toute preuve, à l’exception de certains cas d’évidence en soi) est par conséquent un idéal, atteignable «à l’infini».
Ce savoir inductif produit, donc, pour la plupart, des résultats plus ou moins probables. C’est par un calcul des probabilités relatives entre théories en compétition qu’on arrive à une sélection personnelle et contextuelle de la théorie la plus probable. Pour la collectivité aussi, cette sélection n’est pas fixe mais peut varier dans le temps.
La déduction n’est, pour la plupart, qu’un des instruments de l’induction: c’est la déduction qui relie les thèses et leurs implications logiques. Même si un argument est valide, la vérité de sa conclusion dépend de la vérité de ses prémisses.
La part de l’ imagination dans la formulation de thèses est à noter. Sans ce travail de génie, on serait limité aux faits, sans arriver à les relier entre eux et les assimiler dans un corps de savoir.
La part d’ effort mental est aussi à souligner. Si on ne fait pas l’effort, consciemment ou non, d’observer les faits, de construire des hypothèses et de tester leurs conséquences, on reste dans une ignorance relative.
Dans ce contexte, deux facultés jouent un rôle important. Celle de la mémoire, qui est en partie involontaire et en partie volontaire: sans elle la totalité des donnés et des idées ne seraient pas prises en considération. Et celle de la critique, qui signifie une prise de responsabilité pour ses croyances, dans un esprit sain, de lucidité et de fair-play. Cela inclut d’abord l’autocritique, qui est la capacité et la volonté de revoir constamment ses propres idées, pour s’assurer de leur bien fondé; et ensuite le regard critique envers les idées de provenance extérieure, pour éviter de se laisser induire en erreur.
Les faits de base de toute connaissance sont les apparences brutes. Le véritable empiriste est attentif aux phénomènes. Il faut être conscient que beaucoup de choses que nous considérons comme des « faits », sont plus précisément des théories primaires, qui font déjà un travail d’assimilation sur les données brutes.
Au-delà de ce niveau concret tout est abstraction. Pour appréhender et comprendre les relations logiques entre apparences, il faut une certaine intuition. Dès qu’on essaye de résumer ou d’expliquer ses perceptions externes ou internes, on se place dans le domaine conceptuel.
Mais il ne peut y avoir de doctrines purement conceptuelles. Tout concept requiert des perceptions préalables.
Le système de savoir Baconien, qui correspond à la méthode dite hypothético-déductive ou méthode scientifique, est donc basé sur l’expérience. Ceci est en contraste au système attribué à Aristote, qui provient de « premiers principes » axiomatiques, qui servent de prémisses majeures dans un corps de savoir essentiellement déductif.
Certains logiciens, encore aujourd’hui, n’ont pas compris la différence, et essayent de donner au contenu de l’expérience un statut propositionnel. Ils se retrouvent alors embarrassés par le besoin de prouver ces propositions, et donc par des arguments circulaires (vains) ou infinis (impossibles). Le scepticisme de D. Hume est un exemple.
Accepter l’expérience n’implique pas qu’on la juge véridique: elle peut être fantasmagorique. Mais en tout cas, elle donne à l’être pensant une matière avec laquelle il peut travailler et essayer de son mieux à construire un savoir. En fait, Aristote prévoit également l’ énumération complète, comme source possible de prémisses majeures. Ceci est tout aussi empirique que chez Bacon. Ce dernier est néanmoins plus performant, parce qu’il admet que l’ énumération partielle est dans la plupart des cas tout ce qu’on peut faire, et il apporte une méthode de traitement pratique pour tirer des généralités depuis ces particuliers.